The original Moyes Boy

Le premier Moyes Boy

Bill Moyes fut l’un des pionniers du deltaplane, une figure fondatrice qui a su enflammer l’imaginaire du monde entier dès les débuts de ce sport. Tarquin Cooper retrace sa vie et l’héritage qu’il laisse derrière lui.

Par une journée d’été 1970, Bill Moyes se tenait au bord du Grand Canyon, lançant de petits parachutes en papier dans le vide. Il voulait voir si un courant d’air ascendant pouvait l’aider à planer dans les célèbres gorges en deltaplane. Intrigué, un garde forestier s’approcha et lui demanda ce qu’il trafiquait. Bill lui expliqua son projet, avec son accent australien bien marqué. Le garde ne mâcha pas ses mots :
— Tu racontes des conneries. C’est un parc national, pas un cirque.
Bill s’apprêtait à repartir, mais le garde ajouta, presque avec défi :
— Et de toute façon, je ne pense pas que tu sois capable d’y arriver.

Il n’en fallait pas plus pour le motiver : advienne que pourra !
Les studios Paramount lui avaient proposé 250 000 dollars pour les images — une offre qui, comme Bill le fit remarquer plus tard, « valaient le coup d’essayer ».
Dans une mise en scène digne d’un film de braquage hollywoodien, il revint discrètement le soir même à bord d’un Cessna. À l’abri des regards, il déballa et remonta son deltaplane dans les buissons, aidé de son équipe, profitant de l’obscurité pour se préparer.
À l’aube, son complice de toujours, Garry Barton — un ami rencontré à l’époque du ski nautique — le tracta dans les airs.
« Quand les gardes forestiers m’ont vu, c’était déjà trop tard », se souvient-il avec un sourire.

Bill parcourut 7,6 kilomètres en vol plané — un record à l’époque —, perdant 1 460 mètres d’altitude avant d’atterrir à Phantom Ranch.
Son coup de génie ? Filer 100 dollars à un groupe de hippies pour qu’ils remontent discrètement l’aile jusqu’au sommet, en esquivant les gardes forestiers.
Même si l’opération fut un succès, Bill n’eut guère le temps d’en savourer l’instant :
— Je n’ai pas vraiment pu profiter du paysage, confia-t-il plus tard. Je me concentrais sur le vol… pour les caméras.
Le deltaplane n’en était encore qu’à ses balbutiements au milieu des années 60, quand Bill — athlète accompli, champion de barefoot et showman dans l’âme — découvrit un engin révolutionnaire : le nouveau cerf-volant imaginé par John Dickenson.
À l’époque, les pionniers du vol étaient tractés dans les airs par des bateaux, lors de spectacles de ski nautique en Nouvelle-Galles du Sud.
La machine de Dickenson, basé sur l’aile Rogallo, n’était pas facile à maîtriser et les cinq personnes qui ont essayé avant Bill ont toutes fini à l’hôpital. Dans une interview publiée dans A History of the New Aviation, il a raconté ce qui s’est passé. Le premier homme a eu un accident. Un câble de retenue arrière lui a arraché l’oreille et ils l’ont emmené à l’hôpital. Le deuxième a décollé, est monté rapidement, a paniqué et a tiré la barre à fond. En touchant l’eau, il s’est cassé la jambe. Ils l’ont donc emmené à l’hôpital aussi. Le troisième homme, à peine à un mètre de l’eau, a lâché la barre de contrôle. Lui aussi a été blessé par les câbles. Lorsque le cinquième a finalement été transporté à l’hôpital, il ne restait plus personne pour piloter le bateau. C’était un véritable chaos.
Bill a expliqué qu’il savait exactement comment ça devait fonctionner et a donné des instructions strictes au pilote du bateau : ne jamais descendre en dessous de 50 km/h. « J’ai décollé, et j’ai volé avec le cerf-volant pendant 13 kilomètres. J’ai fait demi-tour et je suis revenu. J’ai largué le câble à environ 45 mètres d’altitude et je suis descendu en planant.

Vol de pente
Six semaines après avoir réussi à maîtriser le cerf-volant Dickinson en 1967, Bill est monté à 310 mètres au-dessus du lac Tuggerah, sur la côte centrale de l’Australie, établissant ainsi un record d’altitude en deltaplane. Un an plus tard, il atteignait 870 mètres en étant tracté avec son aile au-dessus du lac Ellesmere, en Nouvelle-Zélande. Cette même année, il devenait le premier pilote de deltaplane à passer du tractage et du décollage à ski nautique au décollage à pied en montagne. Il a ainsi décollé du mont Crackenback, dans les Alpes australiennes, marquant un tournant dans l’histoire de ce sport et devenant le pionnier du deltaplane tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Bill a vite compris qu’une bonne pente et une forte brise pouvaient rendre le remorquage inutile, après avoir réussi à voler en soaring le long de la côte, un jour où le vent était trop fort pour aller sur l’eau. « J’étais en vol stationnaire là-haut, juste dans le vent, alors j’ai largué la corde », a-t-il raconté à un journaliste. « J’ai plané un moment, puis j’ai longé la crête avant de revenir. Après 32 minutes de vol, j’ai atterri. »
Il n’avait jamais imaginé, lorsqu’il a décollé pour la première fois des montagnes, que ce sport connaîtrait un tel succès. Cependant, il n’a pas fallu longtemps avant que ses amis lui demandent de leur fabriquer un deltaplane, raconte son site web. Bill a construit 12 deltaplanes pour ses amis la première année, puis 20 la deuxième, et son entreprise a rapidement prospéré.
« Il avait une énergie débordante », se souvient Jonny Durand, qui a travaillé avec Bill en tant que pilote sponsorisé. « Bill était disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Toujours debout aux aurores, il ne prenait jamais de congés. Il était constamment occupé, toujours plein d’idées et de projets, et il savait toujours trouver quelqu’un pour l’aider. Le deltaplane ne serait probablement pas ce qu’il est aujourd’hui sans le travail considérable qu’il a accompli à ses débuts. Il a apporté une contribution immense à ce sport. »

Une grande partie de ses activités était, par nature, assez expérimentale et il a eu plusieurs accidents graves au cours de sa carrière. « Il était quasiment indestructible », ajoute Jonny. « Il a essayé de se suicider pendant très longtemps, sans jamais y parvenir. » Un jour, alors qu’il faisait une tournée de cascadeur en cerf-volant, la remorque l’a tiré trop rapidement, ce qui a provoqué la casse du cerf-volant. Des images granuleuses, filmées en 16 mm, montrent Bill en train de perdre le contrôle et de s’écraser sur un parking, juste à l’extérieur du stade. « Le trapèze n’était pas assez solide », a expliqué Bill lors d’une interview télévisée. « Ils m’ont tiré trop fort et les tubes n’ont pas supporté la pression. Je me suis retrouvé avec les câbles et la barre de contrôle cassés, et le vol ne s’est pas bien déroulé. J’ai percuté le toit d’une voiture, ce qui m’a causé une fracture du bassin et d’autres blessures. »
Compte tenu de tous ses accidents, il n’est peut-être pas surprenant que Bill ait eu des opinions peu orthodoxes sur la sécurité. « C’était le genre de personne qui disait : “Pas besoin de brevet si on sait voler, seulement si on ne sait pas voler” », se souvient Jonny. Il avait aussi une vision assez critique des casques. Il disait souvent : « On n’a besoin d’un casque que si on prévoit un crash. Et si on ne prévoit pas de crash, pourquoi en porter un ? » Cependant, après avoir vu quelqu’un s’écraser, il ajoutait : « Eh bien, si tu vas t’écraser, tu ferais mieux de mettre ton casque. »
« À mon sens, c’est l’icône incontestée du monde du deltaplane », explique le pilote australien Serge Durrant, qui a grandi en volant sur des ailes Moyes bien avant de se lancer dans le parapente. « J’ai grandi avec Moyes. Mon père volait déjà avec ces machines, et notre histoire de pilotes est profondément liée à cette marque — c’est la seule que j’ai jamais pilotée. »

Le bon père de famille
En dehors du vol, Bill Moyes était un bon père de famille. Né en 1932, il était l’aîné de six enfants. Ses parents étaient tous deux immigrés : son père, policier, venait d’Europe de l’Est, tandis que sa mère était originaire de Sicile. Il a grandi en parlant italien à la maison. Bill était profondément dévoué à sa femme, Molly, qu’il avait rencontrée à l’âge de sept ans. Ils sont rapidement tombés amoureux et se sont mariés dès la fin de leurs études. À 30 ans, ils avaient déjà cinq enfants. (Son fils, Steve Moyes, a volé au Kilimandjaro avec lui en 1982 et est devenu champion du monde de deltaplane en 1983.)
Bill a d’abord ouvert un atelier d’électricité automobile, et c’est là qu’il a commencé à concevoir et développer des deltaplanes. Personnalité forte et visionnaire, Bill avait aussi un sens de l’humour particulier et adorait les farces. L’une de ses préférées était le tour de la cuillère brûlante, qu’il aimait bien jouer aux pilotes de passage. « Il leur demandait toujours s’ils connaissaient le tour de la cuillère brûlante », se souvient Jonny. « Et, sans prévenir, il sortait la cuillère de sa tasse de thé brûlante, la posait sur leur bras et les brûlait. C’était du Bill tout craché. »
Dans son atelier, Moyes continua à concevoir des ailes et à les commercialiser pendant de nombreuses années, tout en insistant sur le fait qu’il n’avait rien inventé. « Dire que j’ai inventé quoi que ce soit est absurde », confiait-il en 2017. « On n’invente rien, on fait juste des découvertes. J’ai beaucoup appris en observant les mouettes. Je les regardais voler face à ma maison par vent de nord-est et, lorsqu’elles effectuaient un virage, elles allongeaient une de leurs ailes, ce qui la rendait plus performante. J’essayais de comprendre ce mécanisme. »
Il a reçu de nombreuses distinctions pour sa contribution au sport. En 1977, il a été honoré de la médaille d’argent commémorative de la reine Élisabeth. En 1992, il a été intronisé au Sport Australia Hall of Fame, et en 2014, il a reçu la médaille d’or de l’aviation de la FAI.

« Beaucoup de choses que nous faisions étaient stupides », a-t-il confié. « À l’époque, nous ne savions pas faire la différence entre le bien et le mal. »

“BARNSTORMING BILL”
Brian Milton se souvient de l’époque casse-cou de Bill Moyes, lors de ses tournées aux États-Unis comme pilote cascadeur.

Né en 1932, Moyes a commencé à voler après s’être lassé du barefoot. Il a survolé le Grand Canyon, décollé du sommet du Kilimandjaro en Afrique, et a survécu à cinq blessures graves. Il ne lui reste que très peu d’os qu’il n’ait pas fracturés. À 52 ans, il nourrissait l’ambition folle de se faire larguer d’un ballon en deltaplane, d’atterrir au sommet de l’Everest et d’y planter le drapeau australien. Bill Moyes incarne véritablement l’esprit de l’Australie. Il a commencé à voler avec des cerfs-volants en 1966, à l’âge de 34 ans. C’est à cette époque qu’il rencontra Bill Bennett, qui était témoin officiel lors de la tentative de record au lac Tuggerah, et les deux hommes devinrent rapidement des rivaux acharnés. Bennett se rendit aux États-Unis, où le marché était bien plus vaste qu’en Australie, et les deux se livrèrent une bataille intense, sous les yeux des caméras de télévision et des photographes de presse.
Bennet se fit remoquer devant la Statue de la Liberté, vêtu d’un costume de cow-boy d’opérette tandis que Moyes vola dans le Grand Canyon. Tous deux étaient remorqués de plus en plus haut, jusqu’à ce que Moyes utilise un avion pour le tracter jusqu’à 2 600 mètres d’altitude. « À l’époque, Bennett et moi, on se poussait sans cesse à nous dépasser. Il faisait quelque chose, et je faisais mieux que lui. Il tentait autre chose, et je le surpassais, et il cherchait à me battre. Ça a duré des années et des années. »
« J’avais établi le record de remorquage à 874 mètres en 1968. En 1971, Bill l’a dépassé à 884 mètres. Alors je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette sérieusement. Je me suis accroché derrière d’un avion et on est monté à 2 600 mètres. » Il y a eu pas mal de problèmes, comme vous pouvez l’imaginer.
« J’ai eu la chance de rencontrer l’un des pionniers des vols de remorquage en Amérique, Chuck Doyle. Il maîtrisait parfaitement le remorquage, car il avait l’habitude de remorquer des bannières. C’était un pilote pour Northwest Airlines et il possédait sa propre flotte d’avions. Il emmenait ses appareils avec lui, et nous avons d’abord fait un essai derrière un Stearman. Je pensais qu’il aurait assez de puissance, mais j’ai sous-estimé la force qu’un avion pouvait réellement développer. »
« Bref, cette machine a failli me mettre en pièces. Elle volait à 96 km/h, l’aile était complètement cabrée. Tout a cédé : les élastiques ont été arrachés et les lattes sont parties comme une volée de flèches. J’ai eu de la chance de m’en sortir vivant. J’ai juste perdu un peu de peau, comme c’était souvent le cas à l’époque. On saignait presque à chaque vol. »

Extrait de History of the New Aviation de Brian Milton, publié par Pen and Sword Books, 2024.

Sources Cross Country

 J’ai réalisé un documentaire qui retrace l’histoire du Vol Libre : La légende de la Coupe Icare où Bill Moyes apparaît lors de ses exploits.

 

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