Déco Sud 10h 30 – Jeudi 25 avril 2024
Ça fait bientôt 8h que je vole. Je ne suis plus qu’à 900m sur la crête des Tours de Montmayeur, le dernier passage compliqué avant le final glide vers Lumbin. Enfin, je commence à me réchauffer. Mon eau a gelé dès le départ, je n’ai pas bu une goute depuis le début de cette aventure. À 2700 m au-dessus des Bauges en allant vers le lac d’Annecy je tremblais sans arrêt, pas de peur, bien que les conditions fussent atomiques, mais de froid. Pourtant j’étais habillé comme pour aller aux pôles. Il n’y a qu’en accélérant que j’arrivais à calmer mes jambes prises par la danse de St-Guy alors je volais accéléré en permanence.
Arrivée sur le St-Eynard
Jean-Marc (Savage Supair C) et Jean-Jacques (Photon Ozone C 2 lignes) décollent du Déco Sud à 10h 30, je ferme la marche avec ma Photon Ozone C 2 lignes. On décolle rarement si tôt ! Mais les prévisions de meteoblue indiquaient une forte instabilité du sol jusqu’à 2500 m à partir de 10h. Il fallait en profiter et on savait que cette journée allait être fumante. Le plan c’est de partir au sud pour vérifier si le Vercors nous acceptera mais nous avions vu sur la carte des vents que l’ouest risquait de nous poser un problème. Nous sommes les premiers, ah non ! il y a le célèbre Antoine Boisselier qui nous a devancé, preuve qu’on n’est pas venu tôt pour rien. Jean-Marc a déjà traversé le Manival quand je vois Jean-Jacques à la peine aux pieds de Château Nardent. Trop bas il ne s’en sort pas et en sera quitte pour nous suivre sur XContest Live. Je rattrape Jean-Marc au Néron, je fais 1650 m et je mets le cap sur le Vercors. Et une fois n’est pas coutume, je me fais piéger par le synchrotron ! En effet, si cette transition n’est pas très longue (5,3 km) elle comporte un obstacle de taille, la P14 , zone interdite de survol à moins de 1220 m au-dessus du CEA de Grenoble. Je n’ai pas pris assez de marge, un coup de vent d’ouest me fait dériver sur la zone. Et pendant 8 secondes je mords le cercle à 1205 m… Indulgence…
J’aurais encore des nouvelles de mon compagnon de vol de temps en temps, en radio, après lui avoir annoncé que je faisais demi-tour au Pic St-Michel parce que l’ouest n’était plus gérable. Je prenais des grandes claques dès que j’arrivais en haut des thermiques, les prévisions étaient justes, aujourd’hui le Vercors ne veut pas de nous, les rapaces seront donc tranquilles dans leurs bulles de quiétude. Je retourne au Moucherotte, je m’applique pour gratter tout ce que je peux car je sais que la transition va être longue et que je serai certainement contré.
Vers le Pic St-Michel
Je pars à 2360 m en direction de la Bastille et tout de suite mon aile fait l’effet girouette et s’oriente en travers, je marche en crabe ! Finesse 5 ! je vais arriver bas ! Heureusement il y a le grand parking de l’Esplanade qui est presque vide, j’ai mon plan B ! Transiter bas sur Grenoble ça impressionne toujours… J’arrive au mont Jalla à 1000 m, c’est le printemps, l’instabilité va du sol au plafond, ça va le faire. Et ça marche, je remonte le long des pentes du Rachais jusqu’au déco que j’ai bien connu pendant le confinement. Je ne perds pas de temps, à 1100 m je me jette sur le St-Eynard.
Là je rencontre un tas de briques qui montent verticalement. Je mets l’aile sur la tranche et je monte, que dis-je, je suis catapulté vers le ciel, le vario bloqué à +7 intégré hurle. Des ailes arrivent du nord, leurs pilotes sont aux premières loges pour voir le spectacle. J’appréhende la sortie de ce giga thermique et ce qui devait arriver arriva : Mega fermeture à gauche, cravate, je suis toujours sur la tanche mais l’aile ouverte part vers le sol ça sent l’autorote. Je contre au frein et à la sellette comme dans le manuel, ça se rétabli et ça revole droit. Maintenant il faut que je m’occupe de la cravate. La dernière que j’ai eue, et la première en 2 lignes, je n’avais pas réussi à l’enlever et j’avais dû aller me poser. Cette fois il n’en est pas question. Je sais en théorie qu’il faut décrocher l’aile cravatée mais je n’ai jamais pratiqué l’exercice. Je me suis inscrit à un stage SIV exprès pour ça mais il est dans 15 jours ! Alors je me lance, je fais 3 tours de frein histoire de bien raccourcir la drisse qui est très longue sur la Photon et je descends vigoureusement la main. Le résultat est immédiat, l’aile part en arrière en une espèce de drapeau et je vois avec bonheur la cravate se défaire. Je lâche mes tours de frein et l’aile se rouvre normalement, j’ai encore du gaz alors je continue, vers un autre thermique plus sage, un peu secoué tout de même mais content de voir que la manœuvre fonctionne à merveille.
Jusqu’à la Dent je reste prudemment en dessous de 1800 m. Je croise un paquet d’ailes qui arrivent du nord. Sans doute des pilotes qui ont décollé de Méruse, Montlamb ou de Bisanne. Quelques ailes sont au-dessus des crêtes alors vers le Dôme de Bellefont je laisse monter et en arrivant à l’Aulp du Seuil vers 2500 m, l’ouest me repousse rageusement. En dessous, je vois quelques ailes qui viennent du nord se faire malmener. Je décide de m’éloigner vers les avants-relief, je perds 800 m. Ça se calme quand je suis vertical le Col de Marcieu. Je continue vers le nord sur les avants reliefs en me demandant si je ne ferais pas mieux d’arrêter là. Je dépasse le Grand Manti et là je vois des ailes assez hautes sur le Granier. Alors je décide de continuer. Je recolle aux faces est et la pompe du cirque de St-Même donne à plein régime. Je passe en face ouest du Granier, 2300 m, feu sur la Savoyarde.
C’est la troisième transition du voyage, plus longue celle-là (11,3 km), je passe de Chartreuse dans les Bauges en traversant la vallée de Chambéry. Il est 14h, ça fait 3h 30 que je vole. Un petit sud-ouest de 9 km/h me pousse dans le bon sens, ça va faire remonter la moyenne. Je sais que pour optimiser cette transition il faut d’abord viser l’air de service du Granier sur l’autoroute puis la face ouest de la Savoyarde où une belle tache rouge est bien marquée sur la carte des thermiques. En appliquant cette règle on assure la laisse de chien qui permet de compenser la dérive due à la brise venant de Chambéry. Arrivée sur la Savoyarde il y a déjà une aile qui tourne et qui monte. C’est bon ça, je sais où il faut taper. Je raccroche à 1100 m en plein dans la pompe et je ne mets pas très longtemps à atteindre 1600 m, la hauteur de départ conseillée par le manuel pour transiter sur la Galoppaz. La suite est classique. Ça ne fait que monter jusqu’au Mont Julioz où l’alti affiche 2700 m mais le thermomètre -50° (j’exagère mais à peine). Il est 15h 15 et en fonction de ma moyenne (25 km/h) je calcule qu’il faudra que je fasse demi-tour à 15h 40. Je devrais pouvoir aller jusqu’aux Dents de Lafon mais pas plus loin. Magnifique traversée du lac d’Annecy, quatrième transition (8,4 km) avec une vue splendide sur les hauts reliefs enneigés jusqu’au Mt-Blanc. J’ai toujours froid mais il faut que je mange absolument. Alors j’enlève mes moufles pour pouvoir attraper mon sandwich qui est dans la poche à côté de la radio. Et je peux en fin me sustenter mais il faut que je remette rapidement mes moufles de l’armée finlandaise si je ne veux pas chopper l’onglée. Aux Dents j’ai la surprise de lire sur l’ordi de bord que j’ai du sud à 18 km/h, en plein dans le nez pour le retour donc. Je traverse le lac dans l’autre sens, la lumière a changé, maintenant je suis à conte-jour, je vois moins bien ce qu’il y a devant moi, mais je connais le parcours presque par coeur. Le Roc des Bœufs ne va pas être une partie de plaisir. Heureusement je ne serai pas seul, quelques pilotes sont venus jouer dans l’ascenseur. Je suis obligé de faire 2 ou 3 aller et retour entre les lignes mais ça passe et je remonte à 2700 m. J’avance sur le Colombier. La face nord m’accueille comme il se doit, re 2700 m. Là il faut que je fasse un choix, soit continuer sur la Galoppaz où je vois 2 ailes qui ne montent pas soit partir sur Montlamb où un gros cum s’est formé au-dessus de la falaise aux oiseaux. J’opte pour la seconde solution, la transition vers les Tours de Montmayeur sera plus longue mais en général ça marche, tellement ce petit relief est frappé de plein fouet par la brise de Chambéry. Et c’est le cas, parti de 2700 m du dernier thermique j’arrive aux Tours à 860 m, après une longue glissade de 8 km. j’ai perdu 1840 m ! et ça repart. Le passage des lignes est délicat, je dois m’y reprendre à deux fois et j’arrive au bout de la crête de Montraillant, là où je dois me jeter sur Brâme-Farine. J’hésite, je suis à 900 m, je voudrais bien être à 1000 m pour me lancer au-dessus des Gorges. Je vais rester une demi-heure à zoner autour de 900 m avec 2 corbeaux qui n’ont pas l’air d’apprécier ma présence, ils poussent des croassements lugubres que je n’ai pas tout de suite reconnus, j’ai d’abord cru que c’étaient des aboiements de chien ou un tracteur… mais au moins ils me montrent où ça tient. Finalement, voyant le soleil commencer à se rapprocher des crêtes de la Chartreuse je dois me décider. Profitant d’un thermique un peu plus dynamique, je décale avec lui au-dessus du plateau et je me lance dans la petite transition sur les pentes de Brâme-Farine. Soit ça raccroche soit je pose dans le champ habituel, bien connu des pilotes qui rentrent trop tard. Mais nous sommes au printemps et ça bipe. Je sais maintenant que le bouclage de ce périple entre Vercors, Chartreuse, Bauges et Bornes est assuré. Je pose à Lumbin après 8h 38 de vol et 201 km au compteur, accueilli par Jean-Jacques et Xavier qui m’avaient suivi sur le Live Tracking.
0 commentaires